Quand il s’agit de se maintenir en ligue A, les volleyeuses n’hésitent pas à passer à l’attaque. Leur coach, Atman Toubani, sait motiver ses troupes pour viser la victoire.Atman, peux-tu nous raconter ton parcours?
Je suis un enfant du club de volley-ball de Riom, je suis né à côté du gymnase de la grande épopée des Riomoises, on oublie aussi qu’il y avait une équipe garçons dont j’ai fait partie. J’ai fait tout le cursus de formation : collège, section sportive au collège Pierre Mendès France, la section au Lycée Virlogeux qui était une section assez réputée. Ensuite, j’ai eu une signature de contrat professionnel à Riom en Pro B, j’étais le plus jeune passeur de division professionnelle à 17 ans. Et en même temps, j’entraînais, j’apprenais à jouer au volley et je me suis mis dans l’encadrement. A partir de là mon projet professionnel s’est construit autour de ça : devenir entraîneur de haut niveau. J’ai d’abord été entraîneur adjoint et j’ai été viré au bout de quatre mois à Riom. Nous n’avions pas eu de bons résultats et du coup, ils ont préféré garder l’entraîneur principal. Cela m’a permis de signer un contrat en 2000 avec la Fédération et de prendre l’équipe de Chamalières en national. Ça m’a permis de monter le projet que je voulais, même si j’ai eu quelques sollicitations de la part du club de Riom qui m’a proposé le poste d’entraîneur numéro un. Aujourd’hui, on mène notre petit bout de chemin avec le club de Chamalières et j’en suis très content, ça fait 18 ans que je suis ici.
Vous êtes fidèles au club de Chamalières…
Oui et ce n’est pas fini ! Car il y a encore beaucoup de choses à faire avec ce club ! L’objectif a toujours été de monter au plus haut niveau, ce que nous avons réussi il y a trois ans. Nous sommes redescendus, mais c’était un mal pour un bien car cela nous a permis d’assainir le club financièrement et de remonter dans la foulée ce qui est très rare ! L’objectif étant le maintien, mais on n’a pas réussi sportivement.
Justement, qu’est-ce qui a manqué pour réussir sportivement ?
Ce n’est qu’une histoire de moyens. Quand on regarde, le classement sportif reflète le classement des masses salariales même si parfois il y a de très bonnes surprises. Cela a été le cas quand nous étions en Nationale 1, nous n’étions que le cinquième budget. Bien que nous ayons engrangé de l’expérience, que nous ayons vu dans quelle direction nous souhaitions aller, la structuration du club se construit palier par palier. On remarque que nous arrivons à jouer dans de belles salles comme celles de Chamalières ou la Maison des Sports à Clermont-Ferrand. On a fidélisé un public, on a une crédibilité, car il y a une stabilité au sein du club que ce soit au niveau de l’entraîneur et des joueuses qui sont de très haut niveau et qui restent sur des cycles de trois à quatre ans. Nous avons notre capitaine, qui est une joueuse camerounaise arrivée à l’âge de 17 ans et maintenant âgée de 25 ans, elle est devenue française, elle a fait les Jeux Olympiques et elle est convoitée par les plus grands clubs français et européens et pourtant elle reste ici avec nous.
C’est une grande fierté pour vous de pouvoir garder ces joueuses talentueuses ?
Oui cela prouve que l’on a une crédibilité sportive, les joueuses sont payées tous les mois, elles sont logées, l’environnement est sain.
Comment s’est passé l’intégration pour votre capitaine lorsqu’elle est arrivée ?
À l’époque, il n’y avait pas d’agent sportif, elle était conseillée par une de ses amies qui lui a dit de venir en France. "À Chamalières il y a un club formateur et ils ne te mettront pas la pression tout de suite, ils vont attendre que tu franchisses un palier." Grâce à elle, nous avons une filière africaine, nous sommes le premier club de sport collectif à avoir une équipe professionnelle avec 70% d’Africaines.
Cette année, il y a moins de joueuses africaines, mais nous gardons un œil sur le réservoir africain. Pour cette deuxième année en professionnel, nous n’avons pas fait venir beaucoup de joueuses africaines, car il faut les former et qu’ils s’acclimatent, mais nous allons continuer à recruter.
Il ne doit pas y avoir beaucoup de monde qui savent que la filière africaine à un bon potentiel dans le volley-ball ?
Il y a un super potentiel en Afrique, je suis allé voir les finales de coupes d’Afrique, nous avons ouvert les portes. On commence à voir beaucoup plus de joueuses de différentes nationalités et de couleurs dans les clubs. Nous avons aussi des joueuses américaines, il y a un réservoir très important là-bas aussi. Elles font du volley jusqu’à l’université et quand elles sortent, il n’y a pas d’offres pour les joueuses américaines. Il n’y a pas de championnat professionnel.
Qu’est-ce qu’il faut pour que la saison prochaine soit plus sereine au niveau sportif ?
Il nous faut douze joueuses, il faut un staff professionnel, il faut un gymnase à disposition pour pouvoir s’entraîner quand on le souhaite. Car on s’adapte avec les écoles et autres manifestations. On s’entraîne entre midi et 13 H 30 et de 17 H à 19 H donc le temps de récupération est très court.
Pensez-vous qu’il puisse exister une salle pour pouvoir vous entraîner correctement ?
Il peut y avoir un compromis à trouver avec la Maison des Sports, car on s’entraîne souvent là-bas lorsque nous allons y jouer le week-end. On peut tendre vers un club communautaire, c’est la direction qu’il faudrait prendre pour pouvoir optimiser les installations de Clermont Communauté et en même temps optimiser nos performances avec des conditions d’entraînement adéquates.
Personnellement, pour l’année prochaine, qu’est ce que vous souhaitez au niveau des résultats ? Car le championnat est relevé…
C’est difficile de savoir, ce n’est pas tant relevé que ça. Nous avons une équipe avec un six majeur qui jouait et qui aurait pu finir dans les huit premières places. Sauf que la moindre blessure nous fait reculer car les joueuses qui remplacent n’ont pas encore assez d’expérience. Il aurait fallu deux ou trois joueuses d’expérience en plus au sein du groupe et on aurait pu chercher une place en play-offs. Même si la masse salariale est la plus petite, ça ne veux pas dire que nous ne pouvons pas performer contres des équipes plus grosses, car ici, on fait de la formation.
On peut donc espérer voir un jour le club de Chamalières en Coupe d’Europe ?
Il y a dix-sept ans, j’ai annoncé que le club serait en première division et on m’a prist pour un fou, donc on va me reprendre pour un fou si je dis oui (rire).
Nous avons un projet sportif sur 3-4 ans. Tout se joue lors du recrutement, car si on loupe ça on court après le temps. Si on arrive à garder nos joueuses que l’on a formé, oui il y a des chances que l’on y soit un jour.
Vous parlez d’un projet sportif de 3-4 ans, est-ce que c’est toujours la même durée ou cela peut varier ?
Non, aujourd’hui il y a deux options, soit nous partons sur un projet à moyen terme de 3-4 ans et on cible sur la formation, ou alors on devient plus gourmand et on commence à parler de maintien la première année et dès la deuxième année nous allons chercher les play-offs. mMais on ne peut pas le déterminer tout de suite car il faut d’abord connaître nos moyens financiers.
Quel est votre regard sur la saison actuelle du club ? Est-ce que les objectifs ont été atteints ?
Sportivement, cela n’a pas été bon, on ne peut pas être satisfait d’une douzième place et de deux victoires. Mais après quand on prend du recul, ça s’explique, on prend des risques à chaque fois que l’on recrute. L’an dernier, on a réussi à gagner la coupe de France, mais on a prit des risques, mais ça ne s’est pas vu car on a ramené des titres. Cela s’est joué à un match près où on aurait pu se retrouver en play-down.
Aujourd’hui de ce que l’on entend de l’extérieur et des équipes adverses, notre projet est cohérent. Il faut aussi aller chercher des victoires et pour cela, il faudra six joueuses avec de l’expérience.
Il y a beaucoup de joueuses étrangères dans la ligue ?
Oui, énormément, on nous impose quatre joueuses françaises sur la feuille de match. On les retrouve, mais il y en a une seule sur le terrain et les autres sur le banc de touche.
Pour l’instant, le pourcentage d’étrangères sur la feuille de match est élevé. Le pire, c’est que pour l’année prochaine et c’est en cours de vote, il y aura la possibilité d’aligner une seule joueuse française sur la feuille de match.
Quel est votre regard justement sur le volley français aux vues du nombre important d’étrangers dans le championnat ?
Le volley français fait fausse route, le fait de mettre une seule joueuse française sur la feuille de match où la plupart des entraîneurs sont étrangers, la formation française pour eux ce n’est pas leur problème. Très peu d’entraîneurs vont prendre le risque de former leurs joueuses françaises au risque de perdre leur poste et de descendre au niveau inférieur. C’est pour ça que nous ici à Chamalières nous sommes différents des autres, on a toujours notre filière africaine, mais on va aller à contre-sens, c’est-à-dire que les joueuses françaises que les clubs ne vont pas vouloir et bien nous, on les veut bien ! Nous sommes prêts à finir 10ème, 11ème, 12ème. Mais on souhaite les former, car dans ce réservoir-là, il y a peut-être deux ou trois joueuses à fort potentiel.
Si on comprend bien, il y a peu de clubs qui misent sur la formation de joueurs ?
Ils font semblant, ils ont des centres de formation, mais ça permet d’alléger la masse salariale. C’est-à-dire que toutes les joueuses qui sont dans un centre de formation, ne rentrent pas dans la masse salariale de l’équipe professionnelle. Les centres de formation en France ne servent que de levier pour les finances. Il n’y a pas un seul club français qui est un club formateur !
Qu’est-ce que vous pensez de Fang Yan ? Pour vous, il a changé le volley français ?
Le sorcier Chinois ! Il m’a entraîné donc je le connais bien, pour moi, il n’a pas changé le volley français, mais par contre, il a gagné deux fois la Ligue des champions. Il a prouvé que c’était possible de gagner cette compétition en France. C’est un grand monsieur et il sera très dur de l’égaler.
Quelles sont les valeurs que vous inculquez à vos joueuses ?
Je suis quelqu’un de plutôt atypique, ma méthode de travail est aux antipodes de tout ce que l’on peut nous apprendre. Je ne suis pas un entraîneur qui impose aux joueuses et où on fait répéter sans cesse. Pour moi, c’est plutôt l’intelligence situationnelle et ça c’est tous les jours à l’entraînement. C’est à dire que les joueuses vont faire de tout et je ne vais pas couper les entraînements pour leur expliquer à chaque fois. Je mets des exercices en place où d’elles même elles vont savoir ce qu’il faut faire. C’est une méthode de travail qui n’est pas toujours comprise et où il faut un temps d’adaptation. Cela les déstabilisent car je ne conforte pas une joueuse dans ses points forts, je la mets en situation d’échec, ce qui à la base n’est pas à faire. Et puis au final au bout de quelque temps, elles trouvent les solutions elles-mêmes, et je trouve qu’elles apprennent plus vite.
Tout ça devient une philosophie de jeu, pendant un match elles n’ont pas besoin que je sois toujours derrière elles à leur dire ce qu’il faut faire. D’elles même, elles savent s’adapter à la situation.
Concernant la philosophie de groupe, nous, on privilégie de stabiliser les joueuses. Par exemple, dans certains clubs, quand une joueuse se blesse il ne la garde pas et prennent directement un joker médical alors que nous justement ici, c’est le contraire, on les garde, car il y a de l’affection.
Quand on entend ce que vous dites, on peut vous considérer comme un bâtisseur ?
Oui, mais c’est un gros point faible, car à ce niveau, on vous demande de gagner tout de suite et d’être performant. Il y a beaucoup d’affect et de construction humaine dans ma manière de fonctionner.
Sur quelques matchs on vous a vu énerver après la rencontre, cela vous arrive t-il souvent ?
Quand j’étais jeune, je m’énervais souvent. Avant, ma philosophie était "je suis en haut, c’est moi le chef" ; maintenant, tout est partagé et certains pensent que je suis dur. Puis il y a l’image que l’on donne le jour du match. Il m’arrive parfois sur le bord du terrain de m’énerver, mais il faut avoir la même attitude peu importe le résultat. J’ai tendance à dire que celui qui pète un câble quand ça va mal, il n’est pas bon. Quand on s’énerve, on joue que sur le mental et si c’est répété il n’y a plus d’effet, on perd de l’énergie et de la lucidité. Contre Paris par exemple, le coach belge peut s’en vouloir, car j’ai réussi à le déstabiliser et du coup, il ne s’est plus focalisé sur le jeu, mais sur moi et le deuxième arbitre, et il s’est énervé sur ses joueuses. Il m’arrive parfois de me faire avoir.
Qu’est-ce que vous pensez de l’équipe de France masculine ?
On est tombé sur un joueur comme il en tombe une fois tous les 100 ans. Au foot il y a eu Zidane, Platini et nous au volley, on a eu Fabiani et puis maintenant Earvin Ngapeth. C’est un mec qui est atypique, qui est le meilleur joueur du monde, qui tire l’équipe de France vers le haut et cela a permis de sortir une philosophie de jeu qui est complètement différente et c’est pour ça que l’équipe de France obtient des résultats, car ils sont là où on ne les attend pas. Il a réinventé le volley, il fait des choses incroyables, il amène cette insouciance. Mais je pense que l’après Ngapeth va être dur comme cela l’à été avec l’après Zidane.
Les JO 2024 ?
Cela va nous permettre d’attirer beaucoup plus de licenciés, j’espère que cette génération avec Ngapeth va aller loin. Être champion olympique serait un exploit, car cette génération sera au bout du bout.
Quels sont vos meilleurs souvenirs et pires souvenirs en tant qu’entraîneur ?
J’ai trois souvenirs, le premier, c’est une saison entière où il y a eu pleins d’anciennes joueuses qui arrêtent et nous étions en National 2, et je me retrouve avec une équipe jeune où je me dis que si on joue le maintien ça serait un exploit et on finit en play-offs même si au final, on perd, mais c’est ma plus belle saison. Et l’année suivante on est monté.
Mon deuxième souvenir, c’est surtout pour les bénévoles, c’est lorsque l’on bat le record d’affluence pour un match avec plus de 4 000 personnes.
Et enfin mon troisième meilleur souvenir, c’est la coupe de France à domicile.
Mon pire souvenir, c’est la première saison en professionnel. On a deux balles de match et on finit par perdre. On est descendu et c’était très dur de voir tous les bénévoles déçus et tristes. Car les bénévoles, ce sont des amis, des anciennes joueuses et de la famille. Ce sont des gens qui sont très proches et les voir tristes ça m’a mis un coup.
Photos : Bruno Courteix / Volley-Ball Club Chamalières